Auto-stop
J’ai toujours aimé le stop. Me planter en bord de route et attendre, quelques minutes ou parfois des heures, qu’une personne daigne s’arrêter. J’ai commencé à en faire à 16 ans, quand je sortais du lycée en milieu d’après-midi et que le bus scolaire ne passait pas avant 18 heures. Je traversais la ville de Bressuire à pied, et je me postais à la sortie du rond-point de Mr Bricolage. Ça n’avait pas beaucoup d’intérêt car dans le meilleur des cas j’arrivais chez moi une heure avant le bus, et dans le pire, je le voyais passer devant moi sans s’arrêter. Le stop est un pari contre le temps. Je me souviens d’une journée où le trajet de Nantes à Rennes m’avait pris 5 heures. Il pleuvait et le premier automobiliste qui s’était arrêté m’avait déposé 15 kilomètres plus loin, un peu à l’écart de la 4 voies, me condamnant malgré lui à avancer de patelin en patelin plutôt qu’à effectuer le trajet d’un seul tenant.
L’auto-stop sous la pluie, c’est un exercice mental, un test de résistance, une méditation. Au Mexique, je suis remonté du Bélize jusqu’à Puebla (1200 kilomètres), en deux jours; un autre jour j’ai fait Matehuala-Mexico (600 kilomètres) à l’arrière d’un vieux pick up, à fond sur l’autoroute. Je me suis allongé sur des couvertures qui traînaient dans la benne et j’ai écouté le bruit de la vitesse, ses sifflements longs et inquiétants. Je fixais le ciel qui ne bougeait pas, comme si le temps était suspendu et que ma vie pouvait soudain s’arrêter là. C’était le cas: une faute d’inattention du chauffeur, celle d’un autre conducteur, un coup de frein trop appuyé et c'en était fini de moi. Autour de mes pieds s’écrasaient des moucherons par dizaines, qui finissaient leurs jours empalés dans la porte arrière de la camionnette Toyota. Si proche de la mort (mais on l’est beaucoup plus souvent qu’on ne le pense), je me sentais vivre intensément.