Premier confinement
Depuis 3 jours, le ciel est imperturbable. Bleu comme dans un dessin d'enfant. Dehors, l'air transporte une odeur que j'aime infiniment. Ça sent l'herbe fraîchement tondue, un parfum terrien et rassurant. Toute la matinée, les tondeuses ont tourné. La veille, rien, ce matin, tout. Les jardiniers ont respecté une petite trêve, ils se sont demandé si sortir dans le jardin c'était rompre le confinement et puis ils ont fini par se dire "non, c'est idiot". Alors ils ont sorti la tondeuse du garage, ils ont chaussé leurs bottes et ils ont tiré fort sur la corde, pour démarrer leur engin. Tondre la pelouse est une activité plaisante: les modèles récents sont auto-tractés, il suffit de les diriger, presque sans efforts. Le bruit du moteur et la lame qui tourne dangereusement confèrent un sentiment de puissance. On aime être vu en tondant sa pelouse. Quand il fera un peu plus chaud, dans un mois ou deux, certains décideront d'enlever leur t-shirt et arboreront fièrement leurs ventres rebondis. Tondre la pelouse est une activité d'homme, physique et virile. C'est être l'espace d'un instant un homme de la terre. De temps en temps, il faut vider, retourner le sac d'herbe quelque part, dans un coin du jardin. Elle pourrira lentement, sentira un peu moins bon, puis se transformera en compost. La pelouse nourrira le jardin qui nourrira les hommes. Nous sommes tous concernés par le virus, mais ici, quelque chose semble aussi nous en protéger. Le téléphone vibre beaucoup moins que les trois premiers jours. Au Cap Ferret et sur l'Île de Ré, les résidents se plaignent des Parisiens, descendus en masse dans leurs maisons de vacances et profitant du soleil comme un 14 juillet. C'est un exode sanitaire et bourgeois. Amazon croule sous les commandes et embauche 100 000 personnes pour répondre à la demande. Ceux qui ne veulent pas travailler ne sont pas payés, pire, menacés de perdre leur emploi. Au journal télévisé, une jeune fille détaille fièrement le contenu de ses achats. Elle dit "j'ai commandé des vêtements, parce que ça fait toujours plaisir d'avoir des nouveaux habits quand on est un peu triste". La France manque de masques, le personnel hospitalier lui-même n'est pas suffisamment protégé, et pendant ce temps, une gamine de 14 ans achète des fringues sur Internet avec la Visa de sa mère, parce qu'elle esr un peu triste... Sur instagram, des couturières du dimanche proposent des créations en tissu léopard, roses ou à pois. La bêtise et l'opportunisme s'expriment gaiement.