Manger mieux sans manger moins!
Quand j’étais plus jeune et que je mangeais chez des copains dont les parents n’avaient pas beaucoup d’argent, tout ce qui était sur la table était blanc ou jaune: il y avait soit de la purée, soit des frites, soit des pâtes et des cuisses de poulet achetées en barquette de 12, ou les fameux cordons bleus. C’était ce qui coûtait le moins cher, certes, mais en plus, c’était généreux en quantité et en goût. C’était gras, mais bon. A cette époque-là, je trouvais qu’on mangeait mieux chez mes copains que chez mes parents, où ma mère nous servait un bifteck ou du poisson et des haricots verts, ou autres duos de ce genre, avec une viande et un légume vert, et souvent de la salade à côté. Les plats chiants quand tu as 12 ans et que tu rêves de Coca et de burgers.
Cette semaine dans la Bande Originale, on recevait Laurent Mariotte, le présentateur cuisinier qu’on voit 3 fois par jour sur TF1. Enfin il paraît, moi j’ai pas la télé. Je l’aime bien Laurent Mariotte, on sent le gars sympa, naturellement sympa et sympa naturellement. Pas le gars à jouer le mec sympa, si vous voyez la nuance. À un moment, on discutait de l’inflation et de ses conséquences sur l’alimentation des français, qui pour les plus précaires ne parviennent pas à bien s’alimenter, et achètent des produits transformés, trop sucrés ou trop gras, que Jean-Pierre Coffe appelait “de la merde” quand il faisait son show dans les émissions télé. Il avait tout compris à la télé Jean-Pierre: quand tu dis “c’est de la merde” en tripotant de la bouffe, tu peux être sûr que des années après on s’en souviendra. Faudrait que je tripote un truc en disant “c’est de la merde” dans une chronique, pour voir si ça prend.
Bref, je ne sais plus qui en entendant que les classes populaires mangeaient mal a dit “il faut manger moins, mais manger mieux”; phrase qu’on entend souvent et qui est un encouragement à manger de la bonne viande et des bons légumes, bio ou d’un producteur local de préférence, quitte à ce qu’il y’en ait moins dans l’assiette. C’est vrai que les plus modestes bouffent mal, mais cette invitation à se priver de quantité au profit de la qualité, même si elle est pleine de bons sentiments, ne marche pas, tout simplement parce que quand tu es pauvre, ce n’est pas la qualité de la bouffe qui te réjouit mais sa quantité. Avoir une assiette bien remplie, avec un cordon bleu bas de gamme ou une mauvaise escalope, ou un gros plat de pâtes avec du ketchup, c’est quand même réconfortant. C’est une petite victoire sur la vie, c’est se dire “au moins et en dépit de toutes mes difficultés, je n’ai pas faim”. Manger bien chez les classes populaires veut surtout dire manger beaucoup, quand les classes plus aisées associent manger bien à manger sainement. Et dire à une certaine classe de la population que pour manger bien il faut qu’elle se prive sur la quantité, alors que dans l’absolu l’idéal est quand même d’avoir les deux à la fois, ce n’est que lui rappeler son infériorité. Qui a envie d’avoir une assiette moins remplie? C’est frustrant de réduire les portions, d’avoir le sentiment de rester sur sa faim. Est-ce qu’on est plus heureux quand on a mangé sainement mais qu’on en aurait bien repris un peu, ou quand on s’est fait pété le bide, même si c’était gras?
En fait, manger moins mais manger mieux, c’est surtout bien quand tu peux manger mieux sans manger moins.