Premières scènes
Au Mexique, je faisais du stand up dans des bars le soir et je vendais des gâteaux sur des marchés le jour, gâteaux que je préparais la nuit en rentrant des spectacles. J’avais acheté un vélo-triporteur et je m’étais improvisé pâtissier ambulant, dans un pays où on peut tout s’improviser, surtout quand on est français et qu’on se met en tête de vendre des aliments. Ils étaient nombreux les français, à México ou dans d’autres villes, à profiter de la réputation de l’Hexagone en matière de gastronomie, et à avoir ouvert des petits restaurants, alors qu’ils avaient fait des études de commerce, d’architecture ou une fac de droit. Personne ici n’exigeait des gens qu’ils soient légitimes dans leur office. La rue n’appartenait à personne et celui qui avait dégoté un emplacement, auprès d’un placeur au marché ou en soudoyant les flics, était libre de vendre ce qu’il voulait. Le rythme de travail était soutenu: je me levais vers 7 heures pour faire la finition des gâteaux (glaçage, décoration…), je chargeais mon vélo-triporteur, je pédalais jusqu’au marché, dressais mon “stand” (une planche en bois sur la caisse du triporteur, une nappe, mes gâteaux dessus et un grand parasol coiffant le tout, pour protéger les gâteaux du soleil ou de la pluie). Je terminais vers 14 heures, je rentrais chez moi, déchargeais le matériel, faisais une sieste, puis je répétais mes blagues dans ma chambre, avant d’aller jouer. Et c’était comme ça tous les jours, sauf le lundi, jour d’achat des matières premières. J’achetais les œufs par cartons de 480 et la farine par sacs de 10 kilos. Je traversais la ville sur mon triporteur pour aller faire mes achats au meilleur prix, au marché de La Merced, à 7 kilomètres de chez moi. Je vivais au jour le jour, sans profiter du Mexique. Pendant que les expatriés français partaient en week-end à la plage, s’offraient des vacances dans des hôtels de luxe et mangeaient dans les restaurants des beaux quartiers, je vivotais pour ma passion. J’étais sorti miraculeusement indemne d’un accident de voiture en 2005, alors que j’effectuais un stage commercial chez L’Oréal. Après avoir échappé à cette fin de vie ridicule, la tête éclatée au milieu de flacons de shampoing, je crois que je me moquais bien de ne pas être à la plage.
Tout s’était passé sans plan ni calculs. Début 2013, j’avais ouvert une petite crêperie française avec une amie, française également, que j’avais rencontrée en Inde. Comme moi, elle avait étudié au Mexique et souhaitait s’y installer, car elle était tombée amoureuse d’un mexicain. Le Mexique était un eldorado: il y avait tant à faire! Nous avions des rêves de grandeur mais aucune expérience de la restauration, raison pour laquelle nous avions décidé d’ouvrir une petite crêperie, pour nous faire la main avant d’envisager autre chose. Finalement, l’entreprise tourna au fiasco: ça ne marchait pas, mon amie reprit ses billes au bout de six mois et je restai seul dans la crêperie, triste comme un chien mouillé. Un soir, je me suis arrêté dans un bar pour boire une bière, seul, comme pour fêter la fin d’une énième journée difficile ou pour oublier la suivante. Soudain, cinq jeunes ont débarqué dans le bar. Ils ont installé un micro sur la scène et ont commencé à raconter des histoires. Certains étaient drôles, d’autres moins, mais tous semblaient heureux d’être là, et même assez fiers. Je sentais qu’ils étaient du bon côté, et j’ai aussitôt éprouvé l’envie irrépressible de les rejoindre. À la fin du spectacle, je leur ai demandé comment ils avaient fait pour être là, pour faire ça, et comment, moi aussi, je pourrais monter sur scène. Ils m’ont invité à me joindre à eux, pour une séance d’écriture collective. Un mois plus tard, je faisais mon premier passage, dans une pizzeria du quartier de Polanco. Je n’ai fait rire personne, j’ai eu un trou de mémoire au milieu de mon sketch, mais j’étais content. Je venais de vivre une émotion incroyable et une montée d’adrénaline inédite.